LES MARCHES

 

 

Chaque époque a ses rites. Notre société de consommation a «la montée des marches». Une appellation des plus banales pour cette cérémonie à l’allure démodée qui rythme le plus prestigieux festival de cinéma du monde, à Cannes: les invités de la projection mondaine du soir de 19H30, parés de leurs plus beaux atours, se doivent de monter solennellement un énorme escalier, pour pénétrer dans le Palais. Si le smoking est - à peu près - de rigueur pour les messieurs, c’est l’occasion pour les dames de faire assaut d’élégance, de fantaisie, voire de provocation, avec des tenues pouvant aller de la virginale robe en tulle blanc au fourreau parfois couleur chair, suggestif et indiscret. «La montée des marches» est un festival en soi, dont le succès ne se dément pas, et il arrive que mannequins et footballeurs s’y montrent, quitte à ressortir immédiatement après par l’entrée des artistes. Et lorsque vous revenez du festival, on ne vous demande plus: «Alors, tu as vu de beaux films?», mais plutôt «T’as monté les marches?».

Le show commence tôt dans la journée… avec quantité de figurants volontaires et gratuits. Dès le début de l’après midi, des milliers de badauds, parfois venus de très loin, nantis d’appareils photos et de tabourets, s’agglutinent sur le parvis du Palais – alias le Bunker – pour « en être ». L’atmosphère est bon enfant, avec un petit côté kermesse. A la fin de l’après midi, les premiers invités arrivent : ce sont les professionnels, les cadres de sociétés « sponsor » qu’on a voulu récompenser, les cannois – si, si il y en a. Puis viennent les stars…Tout ce beau monde monte gravement l’immense escalier recouvert d’un éclatant tapis rouge, dont les marches, dures à monter, sont en carrelage d’un rouge flammé d’un esthétique douteuse. C’est sans doute pour cacher cette banalité que s’est constituée au fil des ans cette cérémonie, maintenant si célèbre qu’elle s’identifie à la manifestation. Car dans l’ancien palais, avant 1983, l’accès à la projection du soir s’effectuait plutôt dans un joyeux désordre. Stars, producteurs, attachés de presse, photographes se bousculaient entre deux rangées de gardes républicains impassibles. En ces temps reculés, le festival était plus léger : les pin-up s’ébrouaient sur la plage, on saisissait les vedettes derrière les massifs de fleurs du Grand Hôtel ou célébrant le festival derrière une bouteille de champagne sur la plage. Maintenant, tout est balisé. Les stars se cachent dans les palaces, atteignent le palais dans une voiture aux vitres fumées dont elles descendent entourées de gardes du corps et attendent leur tour. Elles traversent alors le parvis et en équipe ou seule (un) ; montent l’escalier (deux), en haut duquel elles seront accueillies par le Président du Festival (trois). Un, deux ou trois, pas beaucoup alternatives pour les photographes, assignés à leurs places, sommés de mitrailler du prêt à poser envoyé sur le champs à leur rédaction. Dans ces conditions, il faut avoir l’œil pour déceler un dos dessiné comme une liane, une bretelle qui s’échappe ou une Marion Cotillard, planant au dessus d’un nid de caméras.

Pour notre plaisir, Fausto Marci a ce talent et c’est tant mieux.

 

Françoise MAUPIN

Journaliste et critique de Cinema (Le Figaro)